En à peine deux années d’existence, l’essor de l’école du Web est fulgurant. Franck Rondot/CG93
Basée dans le quartier de la Caravelle, l’école du Web des quartiers populaires forme une douzaine de jeunes par an au métier d’intégrateur-développeur Web. Déjà présente sur trois sites, elle devrait s’étendre à cinq nouvelles villes.
La Caravelle, dix étages, 15 500 m2 au sol, près de 6 000 habitants et 1 630 logements. Voilà pour le décor monumental, un des quartiers de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et une des réponses données à l’appel de l’abbé Pierre en 1954 pour loger les familles des bidonvilles de la région parisienne. C’est au pied d’un de ces immenses pavés que l’on repère la devanture rouge du PoleS, pôle d’orientation vers l’emploi par l’économie sociale et solidaire.
Une formation pour quinze jeunes chômeurs
C’est là qu’est née, en 2015, l’école du Web des quartiers, sous le nom un brin impertinent de Ma6T va coder. Une aventure récente, imaginée après une longue expérience réussie d’insertion par l’activité économique. Au PoleS, en 2005, après les révoltes urbaines, Claude Sicart, son président, perçoit l’urgence : « On se dit que le besoin de qualification est élevé. On repense les dispositifs en fonction du territoire et on décroche le marché d’entretien des espaces verts de la ville pour les plus éloignés de l’emploi. » Et puis, l’ère du numérique vient percuter cette structure d’insertion vertueuse. À la demande de la préfecture des Hauts-de-Seine, voit le jour un premier projet d’emploi et de formation aux métiers du numérique pour quinze jeunes au chômage.
Abdoulaye Diarra, 29 ans, a fait partie de la toute première session de l’école du Web, en 2015. Ce grand jeune homme élancé, keffieh posé en triangle sur les épaules, se souvient de sa rencontre improbable avec le codage. Dans la salle où désormais il travaille en CDI en tant qu’intégrateur-développeur, il décrit un parcours fait de petits boulots. Monteur de stands, homme de ménage avec son oncle à la SNCF, coffreur-boiseur chez Eiffage, mécanicien, Abdoulaye entend parler de l’existence du PoleS. « Je pensais que j’allais toucher un petit salaire tranquille, me former à l’informatique mais je ne pensais pas à la suite, c’était comme un autre petit boulot. Moi qui ai porté toute ma vie, enfin, je pouvais m’asseoir un peu », s’amuse-t-il. Il mord au codage. Et s’entiche de la fabrication des sites Web. « J’aimais cette concentration, savoir d’où ça venait et comment le modifier. Petit, je rêvais d’être ingénieur… Pendant les dix mois de formation, nous avons fabriqué un quiz pour l’association Métropop’ ! » Depuis, il a participé à la création du site de PoleS, mais aussi de l’association Pas sans nous, ou encore du collectif Pouvoir d’agir. Aujourd’hui, il travaille à la création d’une application pour la gestion des espaces verts qui devrait faciliter les échanges entre le PoleS et la mairie de Villeneuve-la-Garenne.
En à peine deux ans, l’essor de cette école du Web est fulgurant. Et coïncide avec les directives gouvernementales de lancement en 2016 d’une grande école du numérique, qui regroupe un réseau de formations. L’école du Web répond illico à cet appel à projets et obtient une labellisation pour Villeneuve-la-Garenne, Pierrefitte-sur-Seine et Pantin. « Le gouvernement a pris conscience qu’il y aurait autour de 36 000 postes à pourvoir dans les métiers du numérique en France et 900 000 en Europe. Nous avons décidé de ne pas louper le coche. Déjà qu’on est en périphérie de tout, si en plus les quartiers sont coupés du numérique… On sort de l’assignation territoriale et d’orientation professionnelle, toujours axée sur le BTP, les espaces verts et les services à la personne », analyse Claude Sicart.
Payé pour apprendre, un emploi à la clé
De ces métiers, Kevin Seri, 25 ans, n’avait jamais entendu parler. Comme beaucoup de jeunes issus des quartiers populaires, il a fait toutes sortes de jobs dans la restauration ou dans la vente. Des horaires impossibles, mal payés et peu gratifiants. Arrivé à l’école du Web par le bouche-à-oreille, il vient de clore dix mois de formation certifiante. Embauché en emploi d’avenir comme animateur au sein des espaces d’éducation numérique pour les 9-12 ans, un autre volet de cette école hors du commun. « J’ai saisi l’opportunité, même si je ne connaissais pas les langages informatiques. On doit se mettre à jour parce que ça évolue très vite. Avec le fab lab, les ateliers pour enfants, on doit manier les machines, concevoir des projets robotiques, souder, fabriquer. J’aime cette pluridisciplinarité. »
Sans soutien financier des parents, les jeunes remballent très vite leurs rêves. S’il avait pu, Kevin concède qu’il aurait poussé les études plus loin. Mais, il a fallu assurer le loyer. « Ce n’était pas gagné d’avance, poursuit Claude Sicart. On reçoit des jeunes qui ont des situations difficiles, c’est pour ça qu’on les accompagne. Et quand ils terminent la formation, on continue à les suivre. » Bien loin des méthodes agressives d’apprentissage en incubation des grandes écoles, où, pendant des semaines, les jeunes doivent faire preuve de leurs compétences, contre des adversaires, et sans aucune certitude d’être pris. Kevin a tenu une semaine. Il fallait assurer le loyer, encore. Cette fois, à l’école du Web, il a non seulement été payé pour apprendre, a bénéficié d’un soutien dans les moments difficiles, mais il a aussi pu mettre à profit ses acquis en décrochant un emploi.